De la maladie à l'engagement : le parcours inspirant de Fatima Krisni
Introduction
Lutter contre le cancer est un combat personnel et intime, mais pour certains, c’est aussi un moteur d’engagement. Fatima Krisni, diagnostiquée en 2017 d’un cancer du bas rectum, a traversé des épreuves d’une rare intensité. De la chimiothérapie à la radiothérapie, en passant par la stomie, elle a transformé son parcours de souffrance en mission de vie. Aujourd’hui, patiente partenaire et membre active de l’association Dar Zhor, elle se bat pour la reconnaissance des personnes stomisées au Maroc.
Voici son histoire, un témoignage de résilience et d’action.
1. Un diagnostic qui bouleverse
EnEn 2017, Fatima, alors assistante de direction dans une grande holding marocain, commence à ressentir des douleurs abdominales, accompagnées de fatigue chronique et progressivement une alternance de constipations et de diarrhées. Comme beaucoup, elle attribuait ces troubles à une mauvaise alimentation ou au stress du quotidien
Ce n’est que lorsqu’elle constate la présence de sang dans ses selles et une perte de poids inexpliquée, qu’elle consulte un médecin. La réalité la rattrape brutalement.
Le verdict tombe : cancer du bas rectum.
"On pense toujours que cela arrive aux autres.
Quand le médecin a prononcé le mot ‘cancer’, j’ai ressenti un choc. Un grand choc.’’
Fatima subit un protocole de soins agressif : 23 séances de radiothérapie et chimiothérapie sur 5 semaines. Puis une iléostomie.
Un an plus tard, à cause d'une fistule rectovaginale et une sténose, son chirurgien pratique une résection du rectum et pose à Fatima une colostomie définitive.
2. L’isolement et le repli sur soi
La pose de l’iléostomie est très dure pour Fatima.
’’Je refusais de sortir, de parler de ma maladie, de parler de cette poche.
J'avais honte. Qui connait ce mot ‘’stomie’’, comment en parler facilement sans tabou, comment parler de ce geste intime dans un pays qui culturellement ne parle pas d’intimité ?
Peu de gens comprennent ce que cela implique.
On me regardait avec pitié ou incompréhension.’’
Fatima connaît des complications, comme si son corps dysfonctionnait toujours et encore… Avec des conséquences psychosociales qu’elle qualifie d’‘’enfer’’.
Un calvaire. Fatima se renferme sur elle-même, rejetant son image et évitant les contacts sociaux.
Dans cet isolement social, sa spiritualité continue à la porter chaque jour.
En 2019, son chirurgien pratique une résection d’une partie rectum et il lui pose une colostomie définitive.
Cette fois, Fatima n’a plus eu ce sentiment de rejet catégorique et d’échec. Elle l’a acceptée.
La colostomie a sauvé sa vie !
3. La bouée de sauvetage Dar Zhor
Créée par des médecins ayant eux-mêmes traversé un cancer, Dar Zhor est l’une des rares associations marocaines à proposer un accompagnement en soins de support aux patients atteints de cancer. Ici, Fatima découvre une communauté bienveillante où elle peut parler librement de sa maladie et de ses souffrances.
L’association propose de nombreuses activités : groupes de parole, où elle partage son vécu avec d’autres patients, sophrologie, yoga... qui lui permettent de mieux gérer son stress et de reconnecter avec son corps et bien d’autres ateliers pratiques pour prendre soin de soi…
Peu à peu, Fatima retrouve confiance en elle.
"C’est ici que j’ai compris que je n’étais pas seule. Que d’autres vivaient la même chose que moi, et que nous pouvions nous entraider. Ça a été une révélation.’’
Aujourd’hui, Fatima est trésorière de l’association et aussi intervenante qui anime des groupes de parole et des ateliers pour les personnes stomisées. Elle y partage ses conseils, aide les patients à mieux gérer leur quotidien et milite pour une meilleure reconnaissance des stomisés au Maroc.
‘’Grâce à Darzhor, j’ai appris à parler de ma stomie sans honte. J’ai compris que je pouvais non seulement vivre avec, mais aussi aider d’autres à mieux accepter la leur.’’
4. De patiente à patiente partenaire
Motivée par son désir de redonner ce qu’elle a reçu, Fatima se forme et devient la première patiente partenaire au Maroc. Pendant un an, elle suit des cours à la faculté de médecine de Casablanca. Cette reconnaissance lui permet d’intervenir auprès des patients et des soignants pour :
- Leur expliquer comment gérer les soins de stomie, répondre à leurs inquiétudes, comment vivre avec une stomie (prendre un bain, habillement, voyage, sport, vie intime, alimentation...),
- Briser le tabou autour de la stomie,
- Redonner de l’espoir. Fatima en est l’exemple vivant !
Fatima est également la référente marocaine de l’Union des stomisés de l’Afrique francophone et membre active des Stomisés Sans Frontières.
Elle anime des conférences, écrit des articles, et témoigne sans relâche.
Son engagement est salué par des médecins du monde entier lors des congrès où elle prend la parole sans fard, et avec un niveau de sincérité et d’empathie qui touche toutes ses audiences !
5. Le combat pour la reconnaissance des stomisés au Maroc
Au Maroc, la situation des personnes stomisées est très difficile. Le soutien de Fatima auprès de ses pairs est absolument essentiel. Il n’y a pas d’infirmière stomathérapeute, pas de consultation d’éducation thérapeutique, pas même de discussion autour du sujet qui relève de l’intime…
Plus qu’un tabou, c’est le silence total.
Les poches ne sont pas remboursées et leur coût représente une somme inaccessible pour beaucoup. Et il y a peu d’accessoires sur le marché…
"Certaines personnes n’ont pas d’autre choix que d’utiliser des sacs en plastique ou des couches pour bébé. C’est inacceptable, c’est inadmissible.
Ce n’est pas un luxe ou de l'esthétique, c’est un soin absolument obligatoire pour vivre !’’
Fatima donne son temps, son énergie, sa pugnacité pour obtenir que la stomie soit un dispositif remboursé comme tout autre thérapeutique.
Ce manque de prise en charge vulnérabilise encore davantage les personnes en situation précaire. C’est insupportable pour Fatima.
Grâce à ses interventions et à son réseau international – qu’elle a tissé seule depuis quelques années - elle parvient à obtenir du matériel offert pour les plus démunis.
Mais tout reste compliqué... Les dons matériels sont refusés à la douane car ce sont des dispositifs médicaux… Qu’à cela ne tienne ! Fatima, toujours hyper déterminée à aider, trouve une solution alternative et arrive à faire rentrer une petite quantité de ces poches sur le territoire.
‘’On dirait que ce n’est pas une priorité. Pourtant, il s’agit de dignité humaine. Et imaginez l’odeur, les complications cutanées, l’isolement de ceux qui n’ont pas de poche.
Il faut arrêter d’avoir mal, d’avoir honte, d’être enfermé ! "
Loin de se décourager, Fatima poursuit son combat sur plusieurs fronts.
Fatima Krisni est la preuve vivante qu’un combat de la maladie, une épreuve bouleversante peut se transformer en une mission personnelle, que la souffrance peut évoluer et devenir une force pour animer un engagement collectif puissant.
Grâce à Dar Zhor et à son rôle de patiente partenaire, elle redonne courage à de nombreux patients.
Son message est clair : on peut vivre avec une stomie.
"L’acceptation, c’est la clé du changement..
La stomie n’est pas une fin, c’est une seconde chance."
Accepter pour mieux avancer
Aujourd’hui, Fatima n’a plus peur d’être vue, d’être entendue. Son histoire est celle d’une femme qui, au lieu de subir, a décidé d’agir pour changer la vie des personnes stomisées.
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